Ce numéro spécial sur les prix d’excellence ne présente pas de nouveaux lauréats et ne dévoile aucun résultat que l’on ne connaissait déjà. Il se donne pour objectif d’inviter à plus d’attention sur un phénomène – la célébration de l’excellence – sur lequel les regards critiques sont étrangement peu dirigés. Que comprendre de la pléthore de projets, de réalisations et de pratiques primées, année après année? Certes, les images défilent dans un intense ballet à chaque palmarès local, régional ou national. Des images de l’excellence architecturale, à n’en pas douter. Il faut toutefois effectuer un « arrêt sur image » pour commencer à s’interroger sur les définitions de la qualité qu’elles sont censées résumer, symboliser, mesurer peut-être. Le lecteur qui voudrait se convaincre de l’ampleur du phénomène en quelques chiffres pourra commencer ce numéro par la fin, puisque nous en dressons un portrait statistique inédit, révélant en particulier l’augmentation exponentielle du nombre d’organisateurs et de prix en une décennie.
Georges Adamczyk propose tout d’abord de déplacer « l’horizon d’attente » de la réception des architectes ou du public, vers l’intérêt du monde académique. Il prend de fait les réalisations primées comme des modèles : « les projets qui sont jugés excellents par leurs pairs pour leurs qualités esthétiques et fonctionnelles exemplaires sont aussi des projets potentiels pour l’apprentissage de la conception et de la production en architecture ». David Theodore replace les prix québécois dans un portrait canadien élargi. Si les architectes québécois se distinguent effectivement au Canada, voire à l’étranger, son enquête montre que ce sont certains types d’édifices et de pratiques architecturales qui se voient distingués, plutôt que l’excellence ou les meilleurs bâtiments de façon générale. De façon paradoxale, il se demande si les prix promeuvent réellement une bonne architecture. Ce que confirme la réflexion d’Aurélien Catros sur les distinctions patrimoniales. L’histoire récente des catégories de l’excellence en conservation révèle d’abord les fluctuations des politiques sous-jacentes. Et quoi de plus actuel qu’une politique de l’architecture scolaire? Sur ce point, le regard rétrospectif d’Alexandra Paré montre que l’architecture scolaire reste un parent pauvre des prix. Elle rejoint les conclusions de Theodore et d’Adamczyk en invitant à concevoir les prix comme une véritable école de la qualité architecturale. Les articles de Sherif Goubran et de Carmela Cucuzzella interrogent la part grandissante des critères écologiques et environnementaux dans les reconnaissances contemporaines de la qualité. Les statistiques compilées par Goubran sont éclairantes sur la démultiplication des définitions de la durabilité. Les analyses de Cucuzzella montrent de façon détaillée que certains prix forcent littéralement le recours à toujours plus de visibilité « éco-didactique ». Elle en conclut que les prix ne joueraient pas qu’une fonction de reconnaissance, ils détermineraient une forme d’excellence. En substance, cette inversion est le jeu proposé par Lucie Palombi qui, en oblitérant provisoirement les images des projets primés, se demande ce que pourrait comprendre un visiteur étranger de trois bibliothèques primées en ne considérant que les rares commentaires des jurys. Nous vous laissons deviner.
Car tant que les listes de réalisations primées ne s’accompagneront pas des raisons, des analyses, des critères de jugement et donc des rapports des jurys; les prix risquent de ne rester que de sympathiques célébrations et non des étapes dans la reconnaissance pleine et effective d’une « politique de la qualité architecturale ».
Éditorial : Les prix, arrêt sur image! (Jean-Pierre Chupin, professeur, Université de Montréal)
Taking Home the Prize: Distinguishing Québec in Architectural Awards (David Theodore, professeur, McGill University)
Trois bibliothèques amplement primées (la visite inverse) (Lucie Palombi, doctorante, Université de Montréal)
L’architecture scolaire, ce parent pauvre des prix (Alexandra Paré, doctorante, Université de Montréal)
Apprendre de l’excellence en architecture résidentielle (Georges Adamczyk, professeur, Université de Montréal)
Le Québec dans le concert canadien des prix de développement durable (Sherif Goubran, doctorant, Concordia University)
L’allégorie du patrimoine au filtre des prix d’excellence (Aurélien Catros, doctorant, Université de Montréal)
À quoi servent les prix en architecture ? (Jean-Pierre Chupin, professeur, Université de Montréal)
« Éco-didactisme » : Les « prix verts » forcent-ils la visibilité des dispositifs écologiques? (Carmela Cucuzzella, professeure, Concordia University)